21:44 44 il protesta que tousiours il avoit este conioint de vraye affection avec la compagnie des freres, et pria qu'on luy pardonnast si quelques fois on avoit veu en luy quelque chagrin durant la maladie: et remercia, comme souvent ii avoit fait, de ce qu'on avoit soustenu sa charge quant a prescher. Finalement il bailla la main a tous l'un apres l'autre: ce qui fut avec telle angoisse et amertume de coeur d'un chacun, que ie ne scaurois mesmes le me ramentevoir sans une extreme tristesse. Le second de May ayant receu lettres de M. Guillaume Farel, ministre a Neufchastel, duquel il a souvent este parle ci dessus, et [page 56] scachant qu'il deliberoit de le visiter estant octogenaire ou plus, il luy rescrivit ceste lettre: Bien vous soit, tresbon et trescher frere, et puis qu'il plaist a Dieu que demeuriez apres moy, vivez vous souvenant de nostre union de laquelle le fruict nous attend au ciel comme elle a este profitable a l'Eglise de Dieu. Ie ne veux point que vous-vous travailliez pour moy. Ie respire a fort grand' peine, et attends d'heure un heure que l'haleine me faille. C'est assez que ie vi et meurs a Christ qui est gain pour les siens en la vie et en la mort. Ie vous recommande a Dieu avec les freres de par dela. De Geneve ce 2. de May 1564. Le tout vostre Iean Calvin. De la en avant sa maladie iusques a la mort ne fut qu'une continuelle priere, nonobstant qu'il fust en douleurs continuelles, ayant souvent en sa bouche ces mots du Pseaume 39: Tacui Domine quia fecisti j Ie me tay Seigneur, pource que c'est toy qui l'as faict. Une autre fois il disoit du chapitre 38 d'Isaie: Gemebam sicut columba, Ie gemi comme la colombe. Une autre fois parlant a moy il s'escria et dit: Seigneur, tu me piles, mais il me suffit que c'est ta main. Plusieurs desiroyent le venir voir, et eust [page 57] falu tenir la porte ouverte iour et nuict qui eust voulu obtemperer au desir d'un chacun. Mais luy prevoyant cela et cognoissant que sa courte halaine ne luy eust permis de faire ce qu'il eust voulu: d'avantage aussi n'ayant pour agreable la curiosite de plusieurs, avoit requis qu'on se contentast de prier Dieu pour luy et qu'on le laissast en quelque repos. Mesmes quand ie le venois voir, encores qu'il me vist bien volontiers, si est-ce que scachant les charges que i'avois il me donnoit assez a entendre qu'il ne vouloit point que son particulier m'occupast en facon quelconques, tellement qu'en prenant conge de moy il m'a dit quelque fois qu'il faisoit [fol. l l ] conscience de m'occuper tant soit peu, encores qu'il fast resiouy de me voir. Mais son naturel avoit tousiours este tel, de craindre de retarder tant soit peu le profit de l'Eglise et de donner peine quelle qu'elle fust a ses amis, encores